30.6.06

Les Damnés


Voilà les gars de Portishead…Ça veut tout dire, pourquoi pas les ploucs, les bouseux, les chtimis, les autres, les étrangers, les connards en quelques sortes. En tout cas c’est ainsi qu’ils étaient accueillis par le public avant de sortir Dummy. C’est aussi ainsi que les appelait leur manager, un type assez sûr de lui pour ne pas sombrer dans l’alcoolisme et le crack à l’idée de vendre un groupe au nom d’une ville aussi peu glamour. Portishead. Pas qu’ils soient fiers les gars de Portishead, juste que d’une certaine manière ils tiennent à revendiquer leur appartenance aux culs-terreux, à la working class, un choix politique. Politique, voilà un mot qui ne vient pas forcément à l’esprit lorsqu’on évoque Portishead. À l’époque je voulais calmer mes ardeurs. Essayez d’approcher les gadjis en leur expliquant « Fuck you I won’t what you do tell me »! j’ai essayé... je vous l’déconseille. Un peu de délicatesse bordel.

Avec Portishead, je tenais enfin la finesse qui me manquait. Y avait qu’à lire la presse, voir la façon dont les filles se posaient toutes émues sur le canapé. Pas de doute Portishead était un groupe plein délicatesse. A la première écoute, ça sent la soul, le corps chavire, on valse et on en oublie presque que le brin de donzelle derrière son micro n’est peut être pas politisée comme de La Rocha mais elle a en tout cas la même rage. Ecoutez "Oh, can't anybody see, We've got a war to fight, Never found our way, Regardless of what they say. " C’est Roads et c’est sur Dummy. Pour la douce quiétude, on repassera. Y a de la révolte dans Portishead, un sentiment d’impuissance également au moment où les conservateurs dirigent toujours l’Angleterre, alors a quoi bon… Tant qu’il y a de l’amour, il y a de la haine aussi. La haine vient des conservateurs, l’amour c’est celui que nous apporte Beth avec le hit de l’album, Glory Box, qui représente peut-être mieux Portishead des débuts. Dummy où même l’amour dans ce qu’il a de plus fou est un cri de révolte. Vous connaissez la chanson, l’amour fou c’est l’insoumission, relisez Breton.

À la fin de l’album, je me sens apaiser, un peu déconcerté tout de même. Une impression d’avoir connu Geoff, Beth, Adrian, Andy et Dave dès ma plus tendre enfance. La musique de Portishead c’était un peu le vent qui soufflait sur mon bled. La mélancolie y était ma première source de revenu. Une ville fantôme où mon occupation principale était d’attendre un bus qui jamais n’arriva.

Ça ne dura qu’un temps. Le temps de passer les portes du Zénith où je pus confirmer mon sentiment sur cette musique que beaucoup voyait comme un débordement de tristesse et d’échec amoureux. Jamais je n’ai vu de concerts aussi magnifiques et aussi brutaux que les concerts de Portishead. L’album est un décorum, plein de faux-semblants. En concert Portishead montre son vrai visage. Et cette brindille aux cheveux si doux est loin d’une quelconque Giulietta Masina, c’est une femme qui laisse exploser sa révolte…et…oui…sa joie. Une joie sans doute soutenue par les bouteilles de vins qui trainent ici et là sur la scène, ou par les "cigarettes" qu’elle n’oublie pas d’allumer entre deux chansons. En tout cas point de tristesse, point de désespoir durant les lives de Portishead. Juste un bon concentré de rock’n’roll.

On en revient à la révolte avec Portishead, leur second album. Ça se confirme, Portishead aimerait peut-être laisser tomber la politique mais ça tombe mal les socialistes anglais se convertissent à l’ultra-libéralisme. Les travaillistes n’en sont plus vraiment et se contentent de suivre la politique américaine et surtout l’armée américaine. Leur dernier opus studio s’ouvre sur Cow Boys, une attaque à peine cachée de Tony Blair ("Did you sweep us far from your feet, Reset in stone this stark belief, Salted eyes and a sordid dye, Too many years.") qui dans la continuité de Roads est également un appel à la révolte "But don't despair, This day will be their damnedest day, Oh, if you take these things from me.". Le jour des damnés en appelle un autre. Portishead se clot sur Western Eyes "They have values of a certain taste, The innocent they can hardly wait, To crucify invalidating, Turning to dishonesty. With western eyes and serpent's breath.They lay their own conscience to rest." Où Gibbons ne cache pas sa colère de voir une certaine idée de mode de vie occidental, être imposé au reste du monde de grès ou de force. Ce qui n’était qu’un pressentiment, à l’époque de Dummy, devient une évidence avec Portishead. Politiquement plus subtil que Massive Attack, mais pas forcément moins subversif. Pourtant on retiendra encore une fois de Portishead cette même tristesse qui transparaît pourtant très peu dans cet album… Au détour de Western Eyes peut-être. Mais toujours l’obsession de l’amour fou revient aux lèvres de Beth Gibbons sur Undenied ("Beneath your tender touch, My senses can't divide, Oh so strong, My desire.") et évidemment All Mine ("Make no mistake You shan't escape Tethered and tied There's nowhere to hide from me All mine....You have to be").

Définitivement Portishead est loin de l’idée reçue convenue et un peu facile généralement appliqué à leur musique : déprimant. Point de tristesse, de l’amour et de la révolte, that’s all.

Roadtrip (instrumental ouvrant leurs concerts.)
Roads (Live)
Cowboys (Live in New-York)
Glory box (Live in New-York)
All Mine (Portishead)
Undenied (Portishead)

Changaili, merci la gadji
Sweet-Candy pour la chtimi.
Prochainement, la suite ! (pleine de surprises...)

11.6.06

Portishead


Il y a une image qui m’a toujours marqué dans le film de Sam Peckinpah. Cette voiture à la tôle flambant neuve qui nargue nos quatre héros, vieux, usés et fatigués. C’est la fin d’une époque, trop vieux pour s’adapter ils iront à la mort. Je pense à cette scène à chaque période importante de ma vie. La modernité dans ce qu’elle a de plus roublarde m’a toujours renvoyé l’image d’un vieux con has-been. A l’école, j’écrivais mes anti-sèches sur la main lorsque les autres cancres arrivaient à tout caser sur la calculatrice de papa l’expert-comptable. Forcement je me faisais gaulé. Au collège, je pensais faire craquer les filles à la façon de Jean Gabin, alors que la mode était à Tom Cruise et à la téquila. Là encore, je me retrouvais sur les roses.

Rien à faire je n’étais pas fait pour mon époque. Les années passent et la situation est la même. Toujours l’impression d’être dépassé, d’être du passé. Pareil en politique, il y a un âge où il faut arrêter de croire aux lendemains qui chantent. On n’est pas sérieux quand on a 15 ans. Mes camarades de barricades de l’époque sont aujourd’hui dépassés par leur vie familiale. Ils sont terrifiés à l’idée de vivre sous le règne de Sarkozy, ils laissent donc leurs idéaux de côtés et sont résignés à accepter ce que Béatrice Schonberg leur propose : le réalisme de gauche. Plutôt le royalisme que le fascisme. Moi-même j’aborde la trentaine en ayant assez bouteille pour ne plus attendre la révolution, mais en espérant juste une révolte. Il n’empêche qu’à l’instar des héros de la Wild Bunch je continue à avancer même si je suis sur d’y laisser ma peau.

Il n’y a plus d'espoir alors prenez le, c’est de Schopenhauer, mais c’est aussi ce que pensaient Geoff Barrow et Beth Gibbons lorsqu’ils se sont rencontrés à l’Anpe britannique. C’était à l’aube des années 90, Beth avait abandonné les planches minables des bars de Bristol pour se jeter sur les bouteilles du comptoir. Geoff Barrow se voyait comme la dernière roue du carrosse de la Wild Bunch, ce collectif d’artistes anglais des années 80 où se côtoyaient Mushroom, Tricky, Daddy G, 3D, James Lavelle, puis sur le tard Björk et Neneh Cherry. Alors qu’Andrian Thaws et Andrew Vowles rejoignaient Grant Marshal et Robert del Naja pour former Massive Attack, Geoff pointa au chômage.

Il n’y a plus d’espoir, Gibbons et Barrow le savent alors ils le prennent et forment un groupe. Portishead. Un patelin dans la banlieue de Bristol. Pas mieux pour évoquer le manque d’espoir. Des vaches, un abris bus, de la pluie, beaucoup de pluie et un taux de chômage proche de celui de Clichy-Sous-Bois. Alors que ses potes de Massive Attack s’embourgeoisent et décident de s’installer à Londres, Geoff se met à bricoler des mélodies en se basant sur les textes poétiques et révoltés de Beth. La télévision diffuse en boucle les clips de groupes sponsorisés par bontampis. C’est le début de la dance. L’image d’une jeunesse heureuse, multicolore et lisse. C’est le modernisme libéral anglais. Portishead est à l’image d’une autre réalité, celle du peuple. Au chômage, ils récupèrent une boite à rythme mal réglée. Sans un sous ils s’échangent les albums vinyles de Billie Holiday, Esther Philips, Lamon Dozier et les productions rythm & blues de Phil Spector. Leur conception de la musique populaire moderne s’arrête finalement à Janis Joplin et John Barry. Sur leur téléviseur en noir et blanc ils observent cette musique moderne, roublarde et pleine de technologies. Sans y croire le duo devient trio (un larron nommé Adrian Utley complète le tableau) et profite du nouveau boulot de Geoff, pour rentrer en studio.

Lorsqu’ils travaillent Dummy avec l'ingé son Dave McDonald, Blue Line atterrit dans les bacs et devient la B.O de la guerre du golf. C’est le scandale en Angleterre. La maison de disque demande à "Massive" de supprimer "Attack", l’allusion est trop forte. Trop tard et c’est tant mieux, la pub est immédiate et le succès au rendez-vous. Blue Line annonce Dummy. 1994, la presse se souvient du nom Barrow. Perdu dans la foule hype de l’album du collectif, Geoff sort la tête haute de la masse VIP. Dummy à sa sortie est tout simplement perçu comme une révolution, elle était annoncée : évidemment Blue Line. 1994 je rencontre pour la première fois Portishead, c’est un été à Aix-En-Provence, c’est une cassette analogique et, c’est forcé, pour les jolies gambettes d’une gamine insensible au charme de Gabin. Un été chaud, triste mais beau.

(À suivre…).






Sour Times (Airbus reconstruction)
It's A Fire
Mysterons
Wandering Star (en acoustique)

Dummy.

2.6.06

Billet d'humeur mauvaise

C’est donc ça l’âge de glace ? Ces derniers jours, j’ai beaucoup pensé aux dinosaures. Voilà donc ce qu’ils ont ressenti les années qui ont suivi la chute de la mégamétéorite ? Je comprends l’angoisse des Aztèques, cette peur diffuse de ne jamais revoir le soleil. J’ai ressenti la même chose…en pire….Les dinosaures ne se préoccupaient pas de trouver un boulot, ils bullaient sur terre, dans les airs et surtout dans l’eau. Bien avant les situationnistes leur topo était: Ne travaillez jamais. Les Aztèques y a pas à dire c’étaient loin d’être des anarchistes. Ça devait pas rigoler dans leurs mégalopoles…mais à moins d’une arrivée intempestive de grands échalas catholiques, ils n’angoissaient qu’au moment des éclipses de soleil…ça va ils vont pas la ramener non plus. Ces derniers jours, j’aurais préféré me recevoir un météore sur la gueule ou admirer une éclipse plutôt que supporter un mois de mai glacial en me débattant dans tous les sens, rien que pour les beaux yeux d’un patron loin d’être aussi éthique que Jean Prouvé. (et accessoirement pour me sortir de la merde dans laquelle je suis depuis bientôt deux ans.). Bizarrement aujourd’hui je vais mieux. Pourtant je n’ai pas eu le boulot, une autre a été retenue. Bizarrement je la plains. Pourtant il fait toujours très froid. Bizarrement il fait beau. Cet optimisme que je ne comprends pas moi-même, vient sans doute du fait que je suis un rescapé de ça. Et puis tant qu’il y a de la musique dans mon lecteur-mp3 (tutute-pas-de-marque) j’aurais toujours la pêche. "Never give up, never surrender" cette maxime du Commandant Peter Quincy Taggart du film Galaxy Quest, je l'ai fais mienne.

Et puisque ma situation n’est tout de même pas idéale je ne résiste pas à l’envie de vous déprimer un peu en V.F..

Jef – Dick Annegarn (reprise de Jacques Brel)
Je Bois – Serge Reggiani
Minuit Boulevard – Christophe
Pull Marine – Isabelle Adjani
Il Pleut – Brigitte Fontaine
C’était un homme – Les Rita Mitsouko
La Maman et la Putain - Diabologum


Et en V.A.

Mad World – Gary Jules ( reprise de Tears for Fears )
Help – Caetano Veloso ( reprise des Beatles )
I Can’t Go to Sleep – Wu Tang Clan
Black & White Eyes – Syd Matters
What Can I Do ? – Antony & Rufus Wainwright
Strange Fruit – Nina Simone ( Chanté au départ par Billie Holiday )
Father & Son - Johnny Cash & Fiona Apple

Et puis un We'll meet Again de transition par Johnny Cash. Sans doute la réappropriation la plus déprimante de l'histoire de la musique. En chantant, Cash sait que c'est la derniere et nous aussi.

A Fil et Fernet.