11.6.06

Portishead


Il y a une image qui m’a toujours marqué dans le film de Sam Peckinpah. Cette voiture à la tôle flambant neuve qui nargue nos quatre héros, vieux, usés et fatigués. C’est la fin d’une époque, trop vieux pour s’adapter ils iront à la mort. Je pense à cette scène à chaque période importante de ma vie. La modernité dans ce qu’elle a de plus roublarde m’a toujours renvoyé l’image d’un vieux con has-been. A l’école, j’écrivais mes anti-sèches sur la main lorsque les autres cancres arrivaient à tout caser sur la calculatrice de papa l’expert-comptable. Forcement je me faisais gaulé. Au collège, je pensais faire craquer les filles à la façon de Jean Gabin, alors que la mode était à Tom Cruise et à la téquila. Là encore, je me retrouvais sur les roses.

Rien à faire je n’étais pas fait pour mon époque. Les années passent et la situation est la même. Toujours l’impression d’être dépassé, d’être du passé. Pareil en politique, il y a un âge où il faut arrêter de croire aux lendemains qui chantent. On n’est pas sérieux quand on a 15 ans. Mes camarades de barricades de l’époque sont aujourd’hui dépassés par leur vie familiale. Ils sont terrifiés à l’idée de vivre sous le règne de Sarkozy, ils laissent donc leurs idéaux de côtés et sont résignés à accepter ce que Béatrice Schonberg leur propose : le réalisme de gauche. Plutôt le royalisme que le fascisme. Moi-même j’aborde la trentaine en ayant assez bouteille pour ne plus attendre la révolution, mais en espérant juste une révolte. Il n’empêche qu’à l’instar des héros de la Wild Bunch je continue à avancer même si je suis sur d’y laisser ma peau.

Il n’y a plus d'espoir alors prenez le, c’est de Schopenhauer, mais c’est aussi ce que pensaient Geoff Barrow et Beth Gibbons lorsqu’ils se sont rencontrés à l’Anpe britannique. C’était à l’aube des années 90, Beth avait abandonné les planches minables des bars de Bristol pour se jeter sur les bouteilles du comptoir. Geoff Barrow se voyait comme la dernière roue du carrosse de la Wild Bunch, ce collectif d’artistes anglais des années 80 où se côtoyaient Mushroom, Tricky, Daddy G, 3D, James Lavelle, puis sur le tard Björk et Neneh Cherry. Alors qu’Andrian Thaws et Andrew Vowles rejoignaient Grant Marshal et Robert del Naja pour former Massive Attack, Geoff pointa au chômage.

Il n’y a plus d’espoir, Gibbons et Barrow le savent alors ils le prennent et forment un groupe. Portishead. Un patelin dans la banlieue de Bristol. Pas mieux pour évoquer le manque d’espoir. Des vaches, un abris bus, de la pluie, beaucoup de pluie et un taux de chômage proche de celui de Clichy-Sous-Bois. Alors que ses potes de Massive Attack s’embourgeoisent et décident de s’installer à Londres, Geoff se met à bricoler des mélodies en se basant sur les textes poétiques et révoltés de Beth. La télévision diffuse en boucle les clips de groupes sponsorisés par bontampis. C’est le début de la dance. L’image d’une jeunesse heureuse, multicolore et lisse. C’est le modernisme libéral anglais. Portishead est à l’image d’une autre réalité, celle du peuple. Au chômage, ils récupèrent une boite à rythme mal réglée. Sans un sous ils s’échangent les albums vinyles de Billie Holiday, Esther Philips, Lamon Dozier et les productions rythm & blues de Phil Spector. Leur conception de la musique populaire moderne s’arrête finalement à Janis Joplin et John Barry. Sur leur téléviseur en noir et blanc ils observent cette musique moderne, roublarde et pleine de technologies. Sans y croire le duo devient trio (un larron nommé Adrian Utley complète le tableau) et profite du nouveau boulot de Geoff, pour rentrer en studio.

Lorsqu’ils travaillent Dummy avec l'ingé son Dave McDonald, Blue Line atterrit dans les bacs et devient la B.O de la guerre du golf. C’est le scandale en Angleterre. La maison de disque demande à "Massive" de supprimer "Attack", l’allusion est trop forte. Trop tard et c’est tant mieux, la pub est immédiate et le succès au rendez-vous. Blue Line annonce Dummy. 1994, la presse se souvient du nom Barrow. Perdu dans la foule hype de l’album du collectif, Geoff sort la tête haute de la masse VIP. Dummy à sa sortie est tout simplement perçu comme une révolution, elle était annoncée : évidemment Blue Line. 1994 je rencontre pour la première fois Portishead, c’est un été à Aix-En-Provence, c’est une cassette analogique et, c’est forcé, pour les jolies gambettes d’une gamine insensible au charme de Gabin. Un été chaud, triste mais beau.

(À suivre…).






Sour Times (Airbus reconstruction)
It's A Fire
Mysterons
Wandering Star (en acoustique)

Dummy.

22 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore un beau billet ; dont l'humeur est bien adéquate avec la trsitesse qui sourd de cet album.

RYS

Garrincha a dit…

Comme quoi il est encore possible de dire de belles choses à propos de ce grand, très grand, immense album.

A voir, si ce n'est déjà fait : le documentaire réalisé sur le groupe. Prises de vue de Portishead la ville, de la bicoque dans laquelle vit Beth Gibbons avec sa mère, des bancs délabrés au bord de rivière maigrichonne au milieu de barres en béton. Une petite plongée dans un quotidien glauquissime, une sorte de marais nauséabond dont est sortie, on ne sait trop comment, cette petite fleur.

Berlin Belleville a dit…

Vous êtes un avant-gardiste mon cher, vous n´êtes pas démodé...Vous fûtes le prmier à utiliser le son MP3 alors que tout le monde jurait par le CD. VOus n´êtes pas nostalgique ni d´une autre époque puisque vous ne l´avez pas vécue. Vous êtes le dernier espoir de ce monde de m... Pour ma part c´est également TSS (tout sauf Sarko), mais le drapeau rouge et noir me suis toujours accroché sur le porte bagage de mon vélo. La dissidence que vous incarnez est parfois plus nécessaire que le Révolution...

Anonyme a dit…

ça va faire plaisir à l'ami berlinous (étant fan de lou, david, iggy et nico, je comprends ta fascination) mais c'est un allemand qui m'a servi de coloc pendant 6 mois (merci erasmus) qui m'a amerné au trip hop et surtout à portishead son groupe preferé. Il a eu raison le boche.
Bonne continuation sur les barricades.

PS: je voulais dire aussi que c'était bien de mettre du lofo au milieu du rock fashion calibré blog.

Anonyme a dit…

Mémoire d’advenir, climatologie alarmiste, œuvriers tauliers : c'est la lutte des glaces, à l’ouïe à l’œil de la tête au pied ! Champagne et merci des barricades.

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

Merci à tous les gars (où sont les filles?) !
Bblack et marvin rouge: content de voir de nouvelles têtes...
BB: je parle en fait plus de mon incapacité chronique à m'adapter au cinysme et aux intrigues qui semble être un sacré coup de pouce pour vivre en société. Quand je m'y essaie je m'y vautre. Alors je me sens dépassé. En même temps il n'y a rien de triste à tout ça...Portishead est un excellent exemple d'humanisme et de sincerité ayant réussi à se isser bien haut dans l'echelle sociale. Alors voila, il faut continuer à avancer en restant sois même quand on a pas la capacité d'être un gros connard. Chuis en manque de calin tiens !

Candice a dit…

voilà la fille....que de souvenirs qui remontent à la surface...le sentiment de se sentir obligée de ne pas bouger pendant la découverte de Dummy, accablée par tant de grâce... les écoutes quasi religieuses de ça et d'autres avec mon frère de chambrée, le partage...toute une époque.....tu connais Rustin mann? Ecouter Changin Seasons dans son bain...
bon choix, l'anonyme!

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

cool une demoiselle !
rustin man ça va venir avec d'autres surprises...

Berlin Belleville a dit…

@ l´AdCR: Vous êtes un rêveur mon cher, ca vaut beaucoup plus que les cyniques psycho rigides réduits à la "Realpolitik"§ comme moi...
VIVE L´ANARCHIE (p... ca fait du bien...)
@ bblack: Lou David et Iggy n´empêchent pas Tricky...

Berlin Belleville a dit…

PS : Pour les calins, suis bientôt là...

Candice a dit…

câlins? vous avez dit câlins? qui que quoi donc où????


"c'était vraiment très intéressant..."

Anonyme a dit…

la scène dont tu parles est en effet (métaphoriquement) géniale...et merci pour la réecoute de Portishead, ça rappelle des souvenirs...

Immature
www.20six.fr/immature

ISARAIN a dit…

demoiselle n°2. C'est vrai que l'audioblog c'est un peu comme le foot...pas grave chuis un peu mysogine...

que dire? J'ai ta sélection dans les zoreilles depuis 2 jours?, great...

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

Sweet Candy, Immature, Changaili...je suis aux anges !!!

(Sweet Candy...besoin calin toi aussi?)

BB: Ne me tente pas trop vieux, tu risques de le regretter (et qu'en pensera-t'Elle?).

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

Je me disais aussi depuis l'temps..."tiens c'est bizarre, j'ai pas MON commentaire d'Andy Verol"....P'tète qu'il ne s'interesse pas à ce que j'écris...je sais pas...Et ouf enfin un petit commentaire de toi, merci !

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

Mais de rien, Mat (tit nouveau?). Alors oui effectivement une suite est en gestation, mais ma vie réelle est passablement exténuante. Voila je finis donc mes journées en étant incapable d'écrire quoique ce soit de vraiment prenant. Je pourrais bâcler vite fais bien fait la suite. ça je l'ai déjà fait et je finis toujours par regretter. Donc no way. Comme pour ma saga "28 years party people", il faudra être encore un peu patient pour les aventures de Beth et Geoff aux pays de la tour de Londres.
L'idée que Bristol soit une ville mythique m'étonne à chaque fois. C'est vrai quoi ! Jamais entendu dire de Morsang Sur Orge que c'était une ville mythique.... Pourtant c'est aussi glauque que Bristol...Mais bon Massive Attack, Portishead, Tricky, James Lavelle et tous ceux qui fréquentait la Wild Bunch ne viennent pas de Morsang Sur Orge... c'est peut être pour ça...

Anonyme a dit…

Bon arrête avec Morsang sur Orge
j'habite juste à coté !
Parabellum (enfin Géant Vert) est de là (ou Juvisy j'sais plus). C'est pas la même réponse à la grisaille que celle de Portishead, mais bon à chacun sa manière.

RYS

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

Parabellum: Juvisy sur orge
Renaud Sechan: Savigny Sur Orge
Silmarils : Grigny "La Grande Borne".
Morsang Sur Orge: rien si ce n'est un écrivain Martin Page.
Ce qui les rapproches: Le Lycée Corot de Savigny.
la politique culturelle de la ville fut pendant longtemps proche du zéro absolu. Mais bon je jette pas la pierre sur la ville de mon enfance, adolescence et jeune adulte. Juste que j'imaginais bien Bristol comme l'équivalent anglais de ma ville. Je comprenais forcement l'état d'esprit de Portishead. Maintenant je retourne frequemment à Morsang surtout que j'y ai un projet culturel et j'ai remarqué que depuis mon départ bah ça bouge beaucoup plus. Donc c'est sur de bonnes voies Morsang Sur Orge.
C'est rigolo de polimiquer sur le trou du cul du monde sur internet. ça donne l'impression que finalement c'est pas franchement le trou du cul du monde.
L'Anonyme de Chateau Rouge (Entité humaine representative du parisiannisme obséquieux et méprisant.)

Candice a dit…

ben moi j'aime bien les trous du cul.

ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah!!!!!

Un peu de poésie dans ce monde de brutes.

............Pardon.

sadoldpunk a dit…

Rien à dire de plus... la classe.

L'Anonyme de Chateau Rouge a dit…

ouais bin maintenant avec tout ces compliments je suis bloqué...

Candice a dit…

Ouais ben dépêche toi parce que moi aussi je commence à être en manque.

Non mais.